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L'archipel des Sélénae
 

 

 

[...] Je me repris bien vite en voyant Olwën me darder d'un regard inquisiteur. Sans détourner les yeux de mon visage, il ramena le grimoire contre sa poitrine tel un gripsou auquel on aurait tenté de dérober son bien le plus précieux et le referma dans un claquement sec.
- Que vous arrive-t-il ma chère ?
La voix d'Olwën avait changé. Devenue plus grave, plus lente, elle faisait peser sur moi une aura étouffante de mal-être.
- Je… ce n'est rien…
Bredouillais-je, cherchant désespérément à endiguer la peur irraisonnée qui s'emparait inexorablement de moi.
- Asseyez-vous un instant, vous êtes si pâle…
Sa voix résonnait étrangement dans la pièce, tel un murmure lointain colporté par le vent. Une sensation de vertige s'empara alors de moi, la pièce disparaissait peu à peu sous un voile éthéré, véritable écran impalpable sur lequel des images vinrent danser. L'obscurité jeta son dévolu sur ce camaïeu de teintes grisâtres et le grignota telle l'encre qu'une main malhabile renverse sur le parchemin pour le noyer sous une vague de noirceur.
Sur ce rideau de néant vint glisser une onde mystérieuse évoluant en volutes... La brume obscure roulait telle de lourds nuages évoluant en accéléré, le tonnerre en parfaite harmonie, résonnait d'un écho lugubre au-dessus d'une vallée aux ombres inquiétantes. Au loin les chaumières crachaient un étendard de fumée blanche, ultime défense contre l'invasion de ténèbres qui affluaient de toute part. La forêt résistait de toutes ses forces aux rafales de vent hurlant des paroles de mort... C'est alors que je les vis... Des yeux mi-clos, indistincts, cernés d'une aura rougeoyante, observant du haut des cieux la terre souffrir sous les assauts d'une terrible malédiction. Je me tenais à l'orée du bois, vêtue d'une robe d'été d'une blancheur immaculée contrastant de façon inquiétante avec l'atmosphère obscure et angoissante qui baignait la terre sur des lieues à la ronde. Le chemin conduisant au village me plaçait dans l'axe de l'apparition. Pétrifiée de terreur je les vis alors s'ouvrirent lentement, révélant leur iris mauve aux somptueux reflets. Fascinée je n'arrivais pas à détourner le regard... L'aura explosa soudain et je sentis une violente douleur au coeur. Une tâche traçait peu à peu les contours d'une rose aux pétales violets, mes yeux commencèrent à me brûler. La tête me tournait et mes genoux heurtèrent le sol peu avant que je ne perde conscience…


L'obscurité m'entourait... Une sensation continue d'apesanteur me berçait et entraînait peu à peu mon corps vers un état d'immobilité presque total. Depuis combien de temps étais-je ici, errant dans cette immensité aux confins insondables, me privant de tous mes sens et de tout repère ?
Seul mon esprit, libre de tout entrave, tentait de percevoir la moindre note dissonante au sein de cette symphonie d'éternité.
J'évoluais, propulsée par le flot ininterrompu de mes pensées, singulière passagère du temps, brisant la monotonie de ce long périple par le biais de quelques escales au coeur de mes souvenirs.
La lassitude me gagnait et fit vaciller la dernière étincelle de vie qui m'animait encore. Cruelle monotonie... Mon esprit se vidait... Egrainant mes connaissances à chaque nouvelle pensée, telle l'eau limpide d'un petit ruisseau tombant en cascade au bas de la montagne. Hémorragie anodine qui gravait sur la surface vierge de cet espace aux limites improbables, l'histoire de ma brève existence…
Un curieux picotement vint brusquement briser le fil de mes pensées. Ouvrant les yeux avec peine, encore groggy, mon premier réflexe fut de poser le regard sur la fente d'où s'échappait une douce lumière. J'étais allongée entièrement nue sur une couche faite de peaux de bêtes. L'odeur était âcre et l'atmosphère suffocante. M'asseyant sur ce lit de fortune, je scrutais la pièce. On pouvait sentir de manière régulière un léger tangage, preuve que je me trouvais à bord d'un navire. La petite cale ne renfermait que quelques tonneaux de nourriture et d'eau, de grosses cordes étaient rangées dans un coin, au plafond pendaient du lard séché et quelques morceaux de gibiers à l'aspect douteux.

Remise de mon malaise, je m'approchais du coffre sur lequel trônait une robe à l'étoffe grossière. Je l'enfilais couvrant ainsi ma nudité et réchauffant un peu mon corps transis de froid. Je scrutais alors l'escalier menant à la petite porte de bois. Le coeur battant, je gravis les quelques marches et collais mon oreille contre le battant. Je pouvais entendre le souffle du vent et le clapotis de l'eau, les grincements de la coque et des gréements. Rassemblant tout mon courage, je tirais le loquet d'une main tremblante et entrebâillais la porte. La lumière du jour m'aveugla puis, une fois mes yeux habitués, mon regard balaya le pont.
Une silhouette revêtue d'une toge aussi noire que la cendre se tenait là, psalmodiant dans une langue étrange et gutturale, un livre entre les mains. Quelque peu décontenancée par les événements, j'estimais plus prudent d'éviter ce curieux individu mais mon pied fit craquer une des planches du pont et l'homme fit volte-face. Un frisson de dégoût m'envahit. Son visage froid et dur était barré d'une cicatrice, vestige d'un effroyable combat qui lui avait coûté la perte de son oeil gauche. Une barbe et des moustaches tressées couvraient le reste de son visage.
Il me fit signe d'avancer et dit d'une voix fortement accentuée :
- Vous n'avez rien à craindre de moi dame Valighën, je ne suis ici que pour vous escorter jusqu'à Juha.
- Que s'est-il passé ? Comment suis-je arrivée ici et surtout qui êtes-vous ?
- Vous le saurez en temps voulu, pour l'heure profitez du voyage…
Juha... Juha... ce nom résonnait dans ma tête, qui diable pouvait bien être cet homme et que me voulait-il ? Le regard rivé sur l'horizon, je laissais mes pensées vagabonder, bercée par le clapotis des vagues sur la coque qui traçait un sillon à travers l'onde, refluant le long de sa travée des broderies d'écume dispersées en myriade d'étoiles immaculées.
Le vent accompagnait le navire dans sa folle course, gonflant d'un souffle, la voilure en un claquement sec et tordait les haubans sous la puissance de ses coups invisibles et rageurs. Agrippées aux cordages, des silhouettes à la grâce féline luttaient contre cette force quasi divine pour arrimer à la mâture, les vastes toiles blanches.
Leurs cris perçaient à peine le hurlement zéphyrien, rendu lugubre par l'arrivée de lourds nuages grisâtres qui voilaient l'azur du ciel.
Les vagues haussaient leur crête, crachant leurs embruns tel le venin de monstrueux serpents de mer et heurtant les flancs du navire de leur corps sinueux et visqueux. Quelle ne fut pas ma surprise en constatant, penchée par-dessus la balustrade, que le navire s'arrachait à leurs crocs meurtriers en s'élevant progressivement vers les cieux.
- C'était donc ça la fameuse nef volante dont parlait Olwën…
Murmurais-je ébahie.
Je restais là, interdite, perdue dans les méandres des questions qui taraudaient mon esprit.
Le soleil descendait peu à peu sur l'horizon, découpant le paysage en un tableau féerique au gré de sa lumière tamisée. Une soudaine bourrasque me fouetta le visage et fit claquer les voiles, me tirant brusquement de ma rêverie.
- Il est tard, vous devriez me suivre jusqu'à votre cabine où l'on vous servira un copieux repas. Je vous conseille de bien vous reposer, le voyage sera encore long... [A suivre...]

 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
                
 

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