[...] La voix me fit sursauter. Tournant brusquement la tête, je me retrouvais à nouveau face à cet homme inquiétant. De près, sa robe noire comme la cendre, semblait être brodée de motifs encore plus sombres.
Sans attendre de réponse de ma part, il se dirigea vers la poupe du navire.
Peu rassurée, je lui emboîtais le pas.
En ouvrant la petite porte de bois je fut surprise d'y trouver une pièce richement décorée. Une petite table sur laquelle trônaient de délicieux mets au fumet délicat faisait face à l'entrée ; emplissant le fond de la pièce, un lit somptueux couvert de fins draps de soie aux couleurs chaudes, invitait à s'y engouffrer pour se laisser envahir par d'inoubliables songes. Un magnifique tableau au cadre d'argent, accroché face au lit, représentait un paysage féerique où de magnifiques chutes d'eau aux mille reflets, tombaient d'une falaise verdoyante survolée par quelques oiseaux aux couleurs chatoyantes. Un coffre de chêne aux ferrures impressionnantes était calé près de la porte sous une fresque étrange gravée à même la boiserie. De petits chandeliers d'or, fixés aux parois, dispensaient une lumière tamisée rehaussée par la lumière de l'astre lunaire qui filtrait à travers les fins rideaux blancs d'une petite fenêtre. Tous ces éléments, offraient au regard un luxe et un confort incomparable.
- Que la nuit vous soit douce, dame Valighën…
Dit l'homme d'une voix murmurante puis il sortit en verrouillant la porte derrière lui.
Je restais interdite quelques instants puis, bien décidée à profiter de ce moment de tranquillité, je m'approchais du coffre. Celui-ci n'était pas fermé à clé. Le battant se souleva avec un léger grincement pour révéler un espace complètement vide. L'intérieur était tapissé d'une étoffe vert olive très douce au touché. En caressant le tissu, mes doigts butèrent sur une légère saillie. En appuyant dessus, un déclic se fit entendre et le fond se souleva imperceptiblement. Cet ingénieux panneau cachait un large miroir aux contours ornés de créatures au faciès démoniaque. A peine ma main en effleura-t-elle la surface, qu'une image floue nimbée de brume se mit à danser sous mes yeux.
Intriguée, je pris en hâte le miroir et le posais sur le coffre. Mes mains se mirent à trembler, je ne pus retenir mes larmes qui roulèrent en cascade sur mes joues pâles. Les rayons de la lune, noyant la pièce dans un halo diffus, faisaient luire d'un reflet démoniaque les iris violets de mes yeux.
Instinctivement, ma main écarta le pan de ma robe, révélant à la naissance de mon sein gauche une rose mauve gravée dans ma chair.
Minée par le désespoir, je me laissais choir sur le lit pour sombrer bien vite dans un profond sommeil, harcelée par les nombreuses questions que soulevait une telle situation.
* Chapitre 2 *
Le claquement des bottes de fer résonna sur le dallage de pierres blanches, répercuté le long de l'allée par de somptueuses colonnes de marbre. De magnifiques statues de granit, représentant les fondateurs et les personnalités ayant fait la gloire de l'académie, trônaient de part et d'autre au milieu de jardins fleuris.
D'un pas vif et assuré, l'homme parvint devant l'huis d'une lourde porte de chêne au panneau ouvragé. Levant la main à hauteur d'un petit cercle de bronze scellé au battant, il tourna la tête qu'un subtil courant d'air venait de frôler en soulevant quelques mèches de sa longue chevelure d'or. Sa cape, au raffiné liseré d'argent, virevolta sous ce zéphyr en un petit claquement sec. Portant son regard sur le ciel aux teintes sombres, que la pluie commençait à consteller de reflets étincelants, il suivit un moment la course des nuages qui roulaient, telles les vagues à la surface de l'océan. Un grondement lointain vint le tirer de sa rêverie, l'azur de ses yeux paru se ternir un bref instant. Reprenant ses esprits, il prit le heurtoir et en frappa le battant de bois.
La voix d'un vieil homme lui enjoignit d'entrer.
- Que me vaut l'honneur de votre visite, jeune Arnhor ?
D'un geste ample, l'interpellé chassa le pan de sa cape qui recouvrait son flanc gauche, laissant entrevoir dans la mi-pénombre qui régnait dans la pièce, une large ceinture à laquelle pendait un petit rouleau de cuir.
Détachant celui-ci, Arnhor le tendit au curieux personnage qui lui faisait face.
- Maître Nohlam, je suis mandé par le père Voliard du prieuré d'Astrhion… Celui-ci m'a prié de vous remettre ce parchemin en main propre.
- Eh bien, en voilà des mystères… Que peut bien contenir ce document obligeant ainsi le prieur à s'en remettre à un jeune Cadet…
Le regard du vieil homme s'attarda un instant sur le visage du jeune soldat, impassible depuis son entrée dans le bureau. Remarquant son sérieux, il se décida à ouvrir le rouleau et à en étaler le contenu sur la table dont l'aspect rudimentaire contrastait avec la beauté des lieux.
Les mains à l'assurance incertaine, déployèrent un parchemin dont la provenance et l'authenticité étaient assurées par le cachet de cire bleu le scellant.
Approchant d'un geste hésitant un bougeoir, Maître Nohlam munit d'une paire de verres grossissants cerclés d'une fine armature de cuivre, commença la lecture du document.
Celle-ci terminée, il émit un soupir de lassitude et leva les yeux, les mains à plat sur la table, il secoua la tête d'un air triste.
Scrutant Arnhor, il ne cessait de s'étonner de la prestance du jeune homme qui, la main posée sur le pommeau finement ouvragé d'une épée courbe, une cape bleue aux broderies élégantes rabattue sur le côté gauche, s'était tenu immobile et droit, attendant dans le silence le plus total qu'il finisse de prendre connaissance de la missive.
- Hélas mon jeune ami, voilà de bien tristes nouvelles… Le père Voliard vous a-t-il mis au courant du problème ?
Sa voix trahissait une certaine émotion.
- L'affaire semblait urgente, le père Voliard m'a mis le rouleau entre les mains en me priant de vous l'amener au plus vite sans plus s'étendre sur le sujet. Sa mine et le ton de sa voix, m'ont fait comprendre qu'il n'y avait pas un instant à perdre.
Le directeur de l'académie repoussa sa chaise et se leva avec peine. Il arrêta d'un geste de la main Arnhor, qui s'apprêtait à lui venir en aide.
- Ecoute moi…
Il toussota.
- Je ne peux rien te dire à l'heure actuelle, les événements sont bien trop graves. Mais tu as mis un zèle tout particulier à accomplir la tâche qui t'était confiée, aussi est-il possible que nous ayons encore besoin de toi d'ici peu. Rends-toi aux cuisines et mange un peu le temps que nous te préparions une chambre.
- Merci Maître.
Après une respectueuse révérence, il rejoignit la porte dont il ouvrit le lourd battant de chêne. D'un mouvement ample mais harmonieux il pivota sur lui-même en faisant onduler sa cape, lui conférant une allure légère et gracieuse malgré la lourde armure qui le protégeait.
La beauté de l'académie ne cessait de l'étonner. Laissant promener son regard sur le décor, il admira un instant l'herbe taillée avec soin, ployer sous l'assaut des gouttes de pluie. Bercé à la fois par le chuintement du vent qu'amplifiait la longue allée couverte et l'eau ruisselante de la toiture, il ferma un instant les yeux... [A suivre]